La défense pénale est un métier

Le barreau français, dans la continuité de nos universités où l’enseignement du droit pénal n’est guère valorisé, a du mal à promouvoir cette activité au rang des savoirs techniques qui imposent une formation sophistiquée et adaptée à l’ampleur du mouvement de pénalisation du droit et de la société. Les centres régionaux de formation professionnelles des avocats (CRFP) n’ont jamais accordé à ce contentieux une attention suffisante et nombre d’avocats considèrent encore trop souvent que la seule commission d’office à la barre pénale peut tenir lieu d’apprentissage pour les jeunes avocats.

La culture pénale du barreau français est précieuse et fragile. Elle mérite d’être sans cesse protégée, étayée, entretenue, approfondie, enrichie et transmise. Ces impératifs furent peu à peu réalisés essentiellement par tradition orale, dans les temps forts autour des défenses militantes des périodes de crises du demi siècle passé avec la défense des résistants, collaborateurs, militants, protestataires et syndicaux (seconde guerre mondiale, guerre d’Algérie, mouvements indépendantistes, mai 68). Le temps de la formation par imitation des grands anciens est aussi dépassé qu’incompatible avec l’ordre de passage aux audiences désormais soumis aux impératifs des escortes confrontées aux gros flux correctionnels des procédures urgentes.
Pourtant les multiples reformes pénales de procédure comme de fond des deux dernières décennies ont considérablement accentué le rôle et la responsabilité de l’avocat pénaliste dont l’éloquence de la parole ultime ne suffit plus à caractériser les qualités. Toutes les reformes ont mis à l’épreuve l’exercice de la profession et ont forcé les Barreaux à s’adapter aux innombrables contraintes de la pénalisation grandissante de notre société. Le premier soldat au front de la résistance à ce surarmement pénal est l’avocat sans que l’on se préoccupe suffisamment du moral et de la formation des troupes.

Que de mutations d’ailleurs pour l’avocat pénaliste en un siècle, depuis son entrée dans le cabinet du juge d’instruction en 1897 , jusqu’à son introduction dans le bureau du Procureur pour reconnaître à huis clos la culpabilité de son client telle que la reforme Perben l’a décidé (2004), en passant notamment par le droit à délivrance des copies pénales (1981), le débat contradictoire en matière de détention provisoire (1984), l’accès à la garde à vue et la capacité à participer à la recherche de la vérité face à un juge d’instruction dépossédé du pouvoir d’ incarcérer (1993), l’assistance par l’avocat du « témoin assisté » et le droit d’appel des arrêts de cour d’assises(2000), le tout sur fond de ratification de la CEDH avec l’introduction des principes du procès équitable.

Au-delà de la maîtrise de la procédure rendue de plus en plus technique, du droit répressif sans cesse élargi notamment à l’incrimination du risque fautif, et du post-pénal désormais judiciarisé, défendre exige une culture générale étendue sur les questions de société qui sous tendent les drames humains en cause, tant la justice se transforme comme enjeu des débats politiques et sociaux; de même deviennent indispensables la compréhension de données expertales de police scientifique complexes et la connaissance de disciplines nouvelles telles que la criminologie et la psychiatrie criminelle au seing d’un procès pénal investi par la prétention du symbolique avec des ambitions psychopédagogiques, voir psychothérapeutiques, ou avocat de la défense et avocat de la partie civile perdent parfois leurs repères dans des joutes confratricides.

L’aspiration contemporaine de l’opinion à la sécurité, la surenchère démagogique des gouvernants à cet égard, la tendance à la victimisation et la grande disponibilité des medias aux faits divers, accentuent les émotions et font peser sur les acteurs du procès pénal des responsabilités sans précèdent.

Resituer l’avocat pénaliste, plus que jamais détenteur d’une vraie spécialité, dans ce grand chambardement de la pénalisation des esprits est une nécessité qui impose de repenser la formation pénale initiale et continue.

Le romantisme n’est plus du coté du barreau et la défense pénale n’auto célèbre plus ses plaies et ses bosses, les avocats inventant leurs pratiques au jour le jour, en proie à des émotions considérables vécues dans une immense solitude qu’aucune régulation psychologique ne vient tempérer tant la culture d’ego sur laquelle ils se sont construits les voudrait invulnérables. Débarrassé depuis 1981 de la hantise de voir la mort sanctionner le crime de son mandant, la prison et la condition de ceux qui y croupissent demeurent la préoccupation quotidienne du pénaliste.En un temps où nos Ordres veulent relever le défi de l’implication des Barreaux dans la définition des politiques criminelles locales et la gestion des flux générateurs de cadences infernales qui nous sont imposées en juridiction, le tout sous le contrôle salutaire d’un Conseil National des Barreaux fort et enfin doté de pouvoirs normatifs, la formation pénale, spécifique, doit être réévaluée, redéfinie, restructurée, diversifiée, redistribuée et rendue plurielle.

Avec pour bagage essentiel, notre longue expérience de pénalistes, c’est à dire de praticien de la barre pénale y accompagnant auteurs et victimes, enrichis par cette dualité qui impose une éthique (à commencer par le respect de la victime par l’avocat de la défense et la non diabolisation de la personne poursuivie par l’avocat de la partie civile), notre ambition est de contribuer, dans un espace privé, à ce défi de la formation spécifique pénale des avocats.Dispensée sous notre contrôle, selon des thèmes et une cohérence pédagogique définis par nous, elle se voudra résolument pratique et confiée à des professionnels reconnus et respectés, à commencer par nos pairs, sur toutes les sujets qui ne s’apprennent nulles part, qui sont en l’air, en suspension, qui ne rencontrent pas de consensus, qui ne se disent pas ou seulement à voix basse, s’écoutent avidement et ne s’écrivent jamais.